10 minutes, ou 15, ou 20.
Il arriva avec 10 minutes de retard. Et, comme il ne manquait jamais une occasion de remarquer les retards des autres, il le savait très bien, que là, il était en retard. Et de 10 minutes précisémment, même ça il le savait. Même les minutes, il les avait comptées. Alors, il se lança dans l'explication (peut-être vraie) du pourquoi et du comment il avait été mis en retard. Car, tout ça n'était pas délibéré de sa part. Il ne saurait se permettre ce genre de liberté, les autres oui, car les autres n'ont pas le respect. Les autres, mais pas lui qui avait été bien éduqué, bien rembourré de bonnes manières et de moralité.
Alors, dès le pas de la porte, il expliqua la file d'attente au restaurant pour réussir enfin à payer. Il expliqua même plus que ça, la nouvelle Direction, la réorganisation des cuisines... Comme si son retard ne pouvait être excusé que par une explication d'au moins égale durée. Et tout en parlant, tout en expliquant, il prenait l'air désinvolte de ceux qui ne sont pas censés avoir quelque chose à se reprocher. Il avait l'air de quelqu'un qui ne souhaite pas que l'on remarque (et surtout que l'on juge) son péché. Et il y ajouta l'air affecté de celui qui, tout de même, est un peu désolé. Juste au cas où la désinvolture ne marcherait pas tant que ça.
Et ça fait un drôle de mélange, la désinvolture affectée, un truc pas très net qui a des relents de malhonnêteté.
Il ponctua son monologue d'un regard inquiet. Allait-il voir s'ajouter à la honte dont il s'était lui-même affublé, les reproches (légitimes) qui devaient nécessairement l'accompagner ? Allait-il devoir riposter, se défendre, faire preuve d'une mauvaise foi qui semble être le seul recours dans ces cas-là ? Car il avait été habitué à devoir toujours tout justifier. Et de cela, peut-être, on ne s'en défait pas. Ou pas tout à fait.
Mais pour toute réponse, il n'aurait que du silence. Pas même une once de désapprobation.
Alors ça aurait marché ? L'air désinvolte mais affecté, l'explication détaillée qui l'aurait presque rendu héroïque de n'accuser que 10 minutes de retard là où d'autres n'auraient sans doute pas réussi à faire mieux que 15 ? ça aurait vraiment marché ?
Pas vraiment, en fait. C'est pas vraiment que ça avait marché. Pas du tout même, parce qu'il n'aurait pu tromper personne tant il empestait la culpabilité (et se sentir coupable de quelque chose fait souvent de vous un parfait suspect). C'est juste que 10 minutes, ou 15 s'il avait été moins héroïque, ou même carrément 20 s'il avait cédé face à l'adversité, peu importait. Ces 10 minutes, ou 15, ou 20, dont il perdait son temps (encore) à essayer de s'expliquer, c'est juste qu'au fond, vraiment (oh oui vraiment), elle s'en foutait. Et que la seule chose à laquelle elle pensait depuis qu'il avait commencé à parler, la seule chose qui vraiment lui importait, c'était à quel moment enfin il se tairait.
Bon Dieu oui, à quel moment, enfin, il se tairait !
Jeudi... quand on avait failli dormir dans la cabane sur le palier.
10h00 - Maman... Et si on construisait une cabane sur le palier ?
10h25 - Maman... Je peux t'emprunter du tissu ? C'est pour faire le plafond de ma cabane. Et puis les murs aussi...
10h52 - Maman... Tu peux venir m'aider ? ça ne veut pas tenir du tout. Tout s'écroule, c'est nul.
11h10 - Maman... Je peux installer mes affaires dans la cabane ?
11h35 - Maman... ça y est, j'ai tout monté. Mes habits, mes doudous, mes jouets. Et même mon coussin.
12h15 - Maman... Est-ce que je peux manger dans ma cabane ?
14h00 - Maman... Dis, Maman, je pourrais dormir dans ma cabane cette nuit ? Dis oui, s'te plait !!!
16h30 - Maman... Pourquoi tu veux pas que je dorme dans ma cabane ? Mais non, je ne vais pas déranger ma soeur. Mais oui, je vais la laisser tranquille.
18h45 - Maman... S'te plait... Je peux dormir dans ma cabane ?
19h30 - Maman... t'es la plus cool des mamans. Tu peux m'aider à monter mon lit ?
20h30 - Maman... Tu peux laisser la petite veilleuse allumée.
21h00 - Maman... J'ai un peu peur là-haut, dans ma cabane. Mais oui, je sais bien que ma soeur est juste à côté. Mais j'ai tout de même peur, moi.
21h15 - Maman... S'te plaît, on pourrait pas redescendre mon matelas pour que je dorme dans ma chambre normale ?
21h27 - Maman... C'était bien dans la cabane, mais c'est tout de même mieux de dormir dans son vrai lit.
A nous seules, ce jour-là, s'offrait une utopie...
Le jour idéal pour ça, c'est un jour où il ne pleuvrait pas
Le silence trouve parfois son explication dans l'insondable banalité d'un déménagement et d'une connexion internet qui tarde un peu trop à revenir. Pas de mystère, pas de bouderie, pas de drame ni d'espièglerie. Juste des cartons et des meubles qui traversent la ville, le seul jour de la semaine où le temps a décidé d'être beau. Juste une ligne téléphonique qui avait décidé, quand à elle, de ne pas suivre le même chemin et de se faire désirer un peu plus que l'habitude ne le permet.
A la fin, nous étions sept sur un quai de gare...
Au début, c'était juste une rencontre. Ils devaient arriver vers 17h00, repartir le lendemain. On les attendait, juste portés par l'envie que ça soit plus qu'un passage. Sans toutefois tellement savoir ce que, eux, ils en attendaient.
Au début, c'était juste des présentations. Le truc un peu formel où on laisse parler ceux qui se connaissent déjà, et qui nourrissent l'espoir secret que tout le monde se reconnaitra... Ce moment étrange où l'on réajuste ses a priori, tout en ne sachant pas encore très bien si cette idée-là de se rencontrer, était une bonne idée.
Quelques mots, quelques regards encore un peu gênés, et des sourires qui trahissaient déjà un peu les bons moments à venir. Les timidités se cachaient encore derrière les rires maladroits, mais déjà l'on pouvait sentir que l'idée de cette rencontre n'était pas tout à fait mauvaise.
Ensuite, il y a eu tellement. Les mots et les rires, les sopés et les cheese-cake, la lune pas tout à fait pleine, la cathédrale un peu trop à droite, le thé dans la cuisine, le petit déjeuner sous la glycine, les cafards qui sortaient du tuba, et les enfants assis devant l'histoire, les tartines au milieu des livres, le jubilé, et les crayons arc-en-ciel...
Et puis, si vite est arrivée la fin. Ce moment étrange où l'on en veut un peu au temps d'être passé si vite, et où l'on essaie de tricher un peu avec l'heure qui passe. Tout en sachant qu'on ne pourra pas lui échapper longtemps. On fait comme s'il ne fallait pas se presser, on laisse partir le train de 18h50. On rêve à une deuxième soirée passée ensemble, une autre nuit et encore une autre journée. On essaie de repousser le moment de se séparer. On se résigne à se diriger vers le train de 19h14. On se dit un premier au revoir qui ne sera pas le dernier.
Et puis, il y a eu la fin. C'était juste une rencontre. Ils devaient repartir. Alice et Valéria pas très loin, à Paris, Till et Alexis beaucoup plus, à Strasbourg et Marseille. Mais il y a des gens que l'on ne quitte qu'à regret. Alors, on se surprend à calculer les kilomètres qui nous sépareront de ces gens-là qu'on va laisser monter dans ce train-là. Combien d'heures jusqu'à eux ? Combien de temps avant de les retrouver ? Alors, on échafaude des plans en forme de stratagèmes pour un jour se revoir.
A la fin, nous étions sept sur un quai de gare. Sept à se promettre trois jours ensemble, peut-être quatre. Au bord de la mer, ou à la campagne. Ici ou ailleurs, juste nous. Sept sur le quai d'une gare, à se dire un ultime au revoir, avec au creux des yeux, des regards qui n'avaient plus besoin de mots pour dire ce qu'ils avaient vécu.
Sept sur un quai de gare. Jusqu'au coup de sifflet qui, dans un mouvement arithmétique impitoyable, nous a transformé en 4+3. Quatre derrière la vitre d'un train qui commençait déjà à s'éloigner. Trois sur le quai d'une gare, qui s'obligeaient à retenir au-dedans des larmes dont elles ne sauraient pas très bien si elles couleraient de la tristesse de voir le train partir si vite, ou du bonheur de ces deux jours passés ensemble.
Quand on oubliait que c'était un soir de semaine... Et que, finalement, ça nous arrangeait bien.
Envoyer valdinguer la routine, renvoyer le quotidien dans ses cordes, défier les conventions, prier la morosité d'aller se rhabiller, chambouler l'ordre des jours et réinventer la semaine, inviter la fantaisie à venir s'empiffrer de saucisson et de chips, se chercher une bonne raison de remballer, ne pas en trouver. Ah si... finalement, se souvenir que demain c'est jour d'école, et qu'il faudra se lever tôt.
Du vernis qui déborde à force de trop en mettre
Dix ans qu'on se connaît. Aujourd'hui tout juste.
Dix ans, c'est pas rien... ça laisse le temps à plein de choses, ça tisse, ça entremêle, et ça finit par se voir tous ces fils qui se sont enchevêtrés les uns aux autres, une année après l'autre. C'est comme un truc qui nous tient.
Dix ans. Punaise... Il fallait fêter ça. Un truc différent, un truc plus grand, un truc qui change des autres fois.
Dix ans, son premier âge à deux chiffres. Et son premier vernis.
Je lui ai demandé ce qu'elle avait pensé de ses dix premières années. Elle m'a dit "J'ai bien aimé..." Elle ne m'a pas demandé ce que moi j'en avais pensé de ses dix premières années. Mais forcément j'aurais copié parce que moi aussi, j'ai bien aimé.
Pamela
Conversation (sur-prenante et sur-réaliste) avec Maxi :
- "Maman, tu sais que j'ai un deuxième prénom ?
- Euh, ça m'étonnerait... A l'état civil, on ne t'a donné qu'un seul prénom.
Oui on trouvait que c'était déjà bien suffisant de lui donner le prénom qu'on lui avait donné. Fallait pas aller trop loin tout de même... Un seul, ça suffisait. Ne dit-on pas que les meilleures blagues sont les plus courtes ? Alors, on l'a faite courte. Et puis, bon... les deuxièmes et troisièmes prénoms, c'est pas toujours très heureux du point de vue de la psychanalyse, il faut bien le dire.
- Nan, je t'assure. J'ai un autre prénom.
- Va falloir que tu m'expliques là...
- Mais oui, c'est en cours d'anglais. La prof, elle a dit que mon prénom, il n'existe pas en anglais.
Tu m'étonnes... (Oui, je sais qu'il faut connaître le vrai prénom de Maxi, pour comprendre l'illusoire hérésie qu'il y a, à espérer trouver un équivalent anglais à son prénom).
- Oui...
- Alors, on a dû prendre un autre prénom.
- Ok. Je comprends mieux.
Et là, je me souviens avec une nostalgie à peine contenue, du temps où moi aussi, j'avais dû me choisir un prénom anglais. J'avais hérité de "Kate", à l'époque. Il y avait mieux. Il y avait pire aussi (si, si...).
- Et donc... Tu t'appelles comment en anglais ?
- Pamela !"
Et là, je me dis que la vie se donne vraiment du mal pour multiplier les occasions de nous priver du peu de dignité qu'on s'évertue vaguement à préserver.
Pamela... Tout de même. Si je m'y attendais à celle-là.
N'empêche... j'ai un gros, gros (ENORME) problème.
Depuis cette révélation, non seulement je ne peux m'empêcher de me demander si la pauvre enfant ne court pas le risque de développer une double personnalité en forme de Pamela qui sprinterait au ralenti (oui, c'est possible, demandez à David Hasselhof, il a passé dix ans à sprinter au ralenti sur TF1), en maillot de bain rouge, sur une plage de Malibu ; mais je ne peux, non plus, réfréner un énorme fou rire incontrôlable, à chaque fois que je croise Maxi, et que je l'imagine obéir sagement à une prof qui lui donnerait du Pamela en toute occasion...
Ce qu'on leur fait subir, tout de même, à nos enfants.
NB : quelqu'un aurait-il un truc pour empêcher les fous rires incontrôlables ?
NB 2 : Je n'ai rien contre les Pamela, je suis certaine qu'il en existe de très fréquentables. C'est juste que si j'avais voulu appeler ma fille Pamela, eh bien, je l'aurais appelée... Pamela.
NB 3 : Le NB 2 a pour but de limiter les commentaires négatifs que je pourrais m'attirer au cas où la LPP (Ligue de Protection des Pamela) aurait vent de ce billet (ce qui est fort peu probable, avouons-le).